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Penser la politique avec Boutang

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L’un des grands mérites de Pierre Boutang aura été de réconcilier la droite réactionnaire avec la démocratie. L’aboutissement de ses réflexions sur la politique fut publié en 1978, au Sagittaire, l’une des maisons d’édition les plus brillantes qui soient issues du grand mouvement de mai 1968. Si L’Apocalypse du désir, parue d’année suivante chez Grasset, était une commande de Maurice Clavel qui souhaitait voir Boutang côtoyer les « nouveaux philosophes », Reprendre le pouvoir est une quête toute personnelle développant les thèmes de La Politique considérée comme souci (1948) et du Court traité du pouvoir légitime (1958).

La pensée du pouvoir chez Boutang relève du conservatisme et du christianisme : essentiellement, selon lui, le pouvoir sauve, lui seul est capable de préserver la nation et les hommes qui la composent. Et, pour sauver, le pouvoir doit être légitime, c’est-à-dire exempt de tout ressort totalitaire. Loin de céder à la tentation de l’ordre à tout prix, comme Carl Schmitt, Boutang plonge dans le Philèbe de Platon pour extraire l’apologie du pouvoir mixte, celui qui scelle l’alliance du souverain et des citoyens face aux féodalités de tout poil.

À défaut de le suivre jusqu’à l’apologie du « prince chrétien », on lira au moins ce traité de philosophie politique comme l’une des méditations les plus profondes sur la nature de la Ve République. Le drame de la république parlementaire française, c’est de souffrir d’un manque de légitimité. La monarchie « républicaine » a ses défauts, mais la désignation de chef de l’État au suffrage universel a le mérite de la relégitimer périodiquement. La campagne de 1965 a réconcilié, non seulement les centristes avec Jean Lecanuet, mais également les monarchistes avec la Constitution de 1958. En un siècle, l’onction du suffrage universel aura assez naturellement remplacé celle de la sainte ampoule. Autre pensée stimulante chez Boutang, celle de la nation conçue comme une vaste assemblée de familles. Pour un chrétien, qu’il soit démocrate ou réactionnaire, il y a nécessairement une politique de la famille, une politique familiale et un sens politique du mariage.

Si Reprendre le pouvoir vous séduit, comment ne pas vous conseiller la lecture du Petit Boutang des philosophes de son élève Henri Du Buit. Il nous rappelle que Boutang philosophe écrit en poète, pratique le chant face aux proses mortifères et, parfois, totalitaires. Boutang, heureux lecteur de Platon, saint Thomas d’Aquin et de Giambattista Vico s’est fait métaphysicien du secret du langage et du temps. Chez lui, « l’unité est la parole du poète exprimant le monde condensé qu’il reçoit et porte en lui-même réellement ». Philosophe maudit pour de mauvaises raisons, Boutang fait les délices de George Steiner comme de Fabrice Lucchini. Il est grand temps qu’un siècle le redécouvre.

Jérôme Besnard, France forum, janvier 2017.

(Jérôme Besnard est lui-même auteur d’un Pierre Boutang.)

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