Qu’est-ce qui explique le succès de Geert Wilders?
Il connaît parfaitement le fonctionnement du système. Il contrôle les médias grâce à une stratégie sophistiquée et n’accorde des interviews que s’il est certain de ne pas être contredit. Pour le reste, ce n’est qu’un flot d’informations à sens unique via Twitter, comme c’est le cas de Trump. De plus, Wilders sait précisément où se cristallise la colère. Aujourd’hui, l’empathie est la clé du succès en politique. Et les politiciens de gauche sont toujours terriblement orientés "stratégie". Quand Trump parle de son mur, peu importe s’il sera ou non construit, mais son discours montre qu’il comprend les vrais problèmes de la population.
Je me souviens qu’en 2002, peu avant l’assassinat de Pim Fortuyn, je menais campagne dans un quartier populaire de Rotterdam. J’y ai vu la pauvreté, la saleté et la criminalité. "Pour qui allez-vous voter?" ai-je demandé. "Eh bien, pour le petit Pim", me disaient-ils. "Les gars, ai-je répondu, vous ne pensez tout de même pas que Fortuyn va résoudre tous vos problèmes?" "Non, bien entendu, mais il nous comprend", ont-ils répliqué. Ce jour-là, j’ai beaucoup appris.
Wilders suit les traces de Donald Trump. Est-ce devenu la nouvelle normalité?
J’espère que non! (Il rit.) N’oublions pas que Trump a remporté l’élection parce qu’Hillary Clinton a perdu. Elle était une parfaite adversaire pour lui et elle a commis des erreurs de débutante. Clinton aurait dû apprendre une leçon importante du populisme européen: attaquer la personnalité ne fonctionne pas chez des gens comme Fortuyn, Wilders, ou encore Trump. Et c’est perçu par les électeurs comme une tactique classique d’un système politique figé.
Vous donnez une image assez pessimiste de la politique. Les partis traditionnels ont-ils encore leur place?
Il ne faut pas sous-estimer les forces de division en politique. Vous avez le droit de trouver que je suis pessimiste, mais je plaide plutôt pour une bonne dose de réalisme. C’est une illusion de croire que les grands partis du centre, qu’ils soient plutôt à gauche ou à droite, décident de la façon dont notre société va évoluer. Cette période est révolue.
Les populistes marquent des points parce que la colère de la population a augmenté?
Certains signaux indiquent que la colère et le mécontentement sont en hausse. Mais le principal problème, c’est l’incertitude. La classe moyenne, qui est la colonne vertébrale de la société, a perdu la plupart de ses repères. Il ne va plus de soi que vos enfants auront une vie meilleure que la vôtre, ce qui est malgré tout l’idée sous-jacente au progrès. Ce sont surtout les crises économiques des 15 dernières années qui ont ébranlé la situation. Le monde politique a réagi en coupant dans l’État providence. Les gens voient cela comme une trahison de la promesse de progrès.
On peut aussi expliquer une partie de cette colère par la politique d’ouverture des frontières. J’ai vu récemment un documentaire intéressant qui montrait que les électeurs du PVV n’étaient pas nécessairement contre les immigrants et les étrangers, mais par contre extrêmement mécontents de la manière dont le monde politique gérait cette problématique. Ces gens se plaignent: "Regardez avec quelle rapidité ces réfugiés obtiennent une maison et un emploi. Et moi, je peux toujours courir, je suis sans emploi et surendetté." Essayez d’expliquer une telle situation à la population. Ca ne marche pas.
Comment expliquez-vous que la gauche ne réussisse pas à apporter une solution?
Les partis de gauche sont relativement plus touchés parce qu’ils doivent faire constamment le grand écart entre leur arrière-ban ouvriériste et cosmopolite. Le premier groupe pense qu’ils sont les perdants de la situation tandis que le deuxième voit la mondialisation et la migration comme un enrichissement. Ce dilemme touche aussi d’autres partis traditionnels dans l’ensemble de l’Europe. Les partis de gauche ont toujours voulu considérer la migration et l’intégration comme positives. Ils ont mis du temps à comprendre qu’il fallait beaucoup d’efforts pour y arriver. Et que les choses tournaient souvent mal.
Est-ce une bonne idée de durcir le discours sur la migration, comme s’y essaie notamment le sp.a en Flandre?
C’est la question pour un parti populaire de gauche: est-il encore possible de tenir un discours rassembleur? Aux Pays-Bas, ce sont les partis du camp des travailleurs ou des intellectuels qui ont le moins de problèmes. D66 et GroenLinks peuvent tenir un langage cosmopolite, le PS se situant davantage de l’autre côté de l’échiquier. Un plus grand parti comme le PvdA, qui se veut rassembleur, est le premier à être touché quand le fossé se creuse. Sous ma direction, le PvdA a changé de cap il y a dix ans, lorsque mes suppléants dans les grandes villes m’ont informé de l’émergence de fortes tensions. Nous avons conclu qu’un quartier ou une école avaient une capacité d’absorption limitée. Ce fut une réaction légitime, sans relent de racisme ni "virage à droite". Nous avons simplement essayé de tenir les morceaux ensemble.